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Camp de Miellin (Haute-Saône, près de Belfort)
9 janvier 2010

Les réfugiés espagnols et le centre de recueil de Miellin - Jean-Claude Grandhay (Extrait "Haute-Saône Salsa", janv.-mars 1994,

La guerre civile espagnole qui voit la victoire des armées franquistes prend fin officiellement le 1er avril 1939. La Frente Popular, grand vainqueur des élections du 16 février 1936, a vécu, malgré l'aide internationale dont celle, importante, résultant de l'accord franco-soviétique. Madrid est tombé le 26 mars, mais déjà depuis le mois de janvier, les républicains, avec femmes et enfants, franchissent massivement les Pyrénées. On estime leur nombre total à 500 000 au mois de février 1939 et à 300 000 le 1er janvier 1940. Ils sont répartis entre trois camps principaux, Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien et Agde, avant d'être dispersés à l'intérieur du pays.

 

Le 3 février 1939, mille trois cent soixante-cinq réfugiés arrivent en gare de Vesoul. Un journaliste de la République de l'Est (la République de l'Est des 4,5 et 6 février) est là pour couvrir l'évènement : "Troupeau lamentable, hâve, dépenaillé, affamé, exténué, il ne compte que très peu d'hommes et va être logé provisoirement dans le foyer de la rue Didon avant d'être réparti dans toute la Haute-Saône. La population, qui a déjà vu arriver un premier contingent d'Espagnols au mois d'août 1937, réagit favorablement. Les collectes s'organisent et le produit des fêtes de bienfaisance sert à acheter du ravitaillement et du matériel de couchage…" (1)

 

 

Dans l'immédiat, leur séjour a été prévu dans différents centres : Vesoul (290), Maizières (196), Lure (268), Luxeuil (301), Gray (140), Arc-les-Gray (136) (2). Ce qui n'interdit pas à chacun de proposer ses services à d'éventuels employeurs. Quelques hommes vont trouver effectivement un travail, généralement chez des agriculteurs, leur permettant ainsi, avec l'argent gagné, de louer une maison et de faire venir femme et enfants. Pour d'autres, l'avenir passe par le retour en Espagne, dans un départ pour le Mexique ou l'Afrique du Nord (3). Pour ceux que n'intéressent aucune de ces possibilités, il reste le centre de recueil. Ceux-ci, nombreux au cours du premier semestre de l'année 1939 (4), vont peu à peu voir leurs effectifs diminuer sous l'effet des départs, entrainant des regroupements et la fermeture progressive des centres les plus petits.

 

70_haute_saonePar ailleurs, le préfet de la Haute-Saône, dans le souci humanitaire d'assurer aux réfugiés des conditions de logement et de vie communautaire les plus acceptables, dans le souci également d'une simplification de la logistique et d'une rationalisation de la gestion administrative, a très vite ressenti la nécessité de rassembler dans un même lieu les familles dispersées (5).

 

Après quelques recherches, son choix s'arrête sur l'ancien tissage Rochet situé sur la commune de Miellin. "Le centre est situé en forêt, dans un site agréable, le climat y est salubre… (6)". La propriété en question, appartenant à Messieurs Walser et Croissant, demeurant respectivement à Belfort et Clairegoutte, consiste en un terrain de deux hectares et demi à moitié boisé, sur lequel a été construit autrefois un grand bâtiment (sept travées de six mètres de large sur trente-sept mètres de long) à usage de tissage, aujourd'hui désaffecté (7).

 

Le 26 août 1939, le préfet signe avec les deux copropriétaires un bail de location pour une durée de six mois, renouvelable par tacite reconduction et résiliable par l'un ou l'autre parie. Le loyer mensuel était fixé à 500 francs. Les travaux d'aménagement, terminés à la fin du mois de septembre, permettent l'installation de cinq dortoirs, d'un réfectoire, de locaux annexes et d'une cuisine. L'eau potable et l'éclairage électrique proviennent d'une entreprise privée de Miellin. Le fonctionnement est assuré par trois personnes embauchées spécialement à cet effet : Louis Doy, ancien gendarme, comme directeur, assisté de Georges Clavier et d'Emile Lamboley comme adjoints.

 

 

Dès le début du mois de septembre, quatre cents réfugiés (femmes et enfants essentiellement) investissement progressivement le centre (8), mais bientôt, par le jeu de départs, ce chiffre va diminuer.

 

Le 15 septembre 1940, il ne reste à Miellin que trente-quatre femmes et quarante-neuf enfants et 31 décembre 1941, jour de la fermeture du camp, l'administration n'évacue que cinq femmes et quinze enfants (9). Jamais l'armée allemande qui occupe ce secteur à partir des derniers jours du mois de juin 1940 n'inquiètera ces familles de "rouges".

Le 10 août 1940, le ministère de la Famille et de la Jeunesse, qui se propose d'organiser des camps de "jeunes gens désœuvrés âgés de 17 à 20 ans et notamment les fils de travailleurs en chômage", sollicite le préfet afin qu'il lui fasse connaître "le ou les emplacements qui vous paraîtraient susceptibles de recevoir un camp de jeunesse". Par retour du courrier, le préfet désigne le centre de réfugiés de Miellin en même temps qu'il renouvelle une demande antérieure : "les transférer en zone non occupée ou lors dans la région de Dole (10). Les autorités allemandes s'opposant à l'implantation de telles structures, l'affaire en restera là… et les réfugiés également, dans la plus totale liberté.

 

1) Le 22 février, au motif que la municipalité vésulienne n'a pas fait tout ce qu'elle pouvait en faveur des réfugiés, six conseilleurs municipaux SFIO (Messieurs Zenguerlin, adjoint, Brice, Couturier, Gousserey, Dondaire et Nesse), tous élus sur la liste de l'Union des Gauches, démissionnent. Au passage, ils critiquent largement la gestion du maire, René Veil (radical-socialiste), gestion que, par leur vote, ils ont pourtant toujours cautionné

(2) 35 réfugiés, dans un état physique déplorable, sont aussitôt hospitalisés

(3) Au 26 septembre 1939, 541 auront regagné l'Espagne, 181 seront installés au Mexique, 8 en Algérie, 7 en Argentine, 1 au Chili et 1 en Angleterre

(4) Les centres sont situés à Arc-lès-Gray, Authoison, Battrans, Bouligney, Faucogney, Fontenois-lès-Montbozon, Fougerolles, Gray, Héricourt, Maizières, Lure, Luxeuil, Navenne, Noroy-le-Bourg, Quers, Raddon, Rigney, Ronchamp, Saint-Loup, Vauvillers, Vesoul.

(5) Exceptionnellement, le centre de Navenne, pour des raisons de commodités (proximité de Vesoul et de l'hôpital) fonctionnera jusqu'en 1940

(6) Rapport du Préfet de Haute-Saône au Ministre, secrétaire d'Etat de la Famille et de la Jeunesse du 16 août 1940

(7) Délibération du Conseil général, la séance ordinaire, 14 mai 1940

(8) Dans la terminologie officielle, il s'agit d'un centre de recueil de réfugiés espagnols. Rien à voir avec un quelconque centre de rétention (ou de concentration pour reprendre une formule de l'administration française en 1939)

(9) A noter que durant son séjour dans un centre, chaque adulte reçoit 7 francs par jour, l'enfant de moins de seize ans 3,50 francs et celui de plus de seize ans 4 francs. Les frais de déplacement sont payés par l'administration.

(10) idem note 6

 

 

 

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