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Camp de Miellin (Haute-Saône, près de Belfort)
19 janvier 2010

Aurélia Moya-Freire avait 13 ans au moment de l'exode. Elle raconte "l'accueil" reçu en France - La Revue de la Résistance N°22

Sept mois dans une famille vosgienne

... Nous avons été conduits, dans un train spécial bondé de réfugiés, en Haute-Saône aux confins du ballon d'Alsace. A chaque arrêt du train, nous étions nourris et réconfortés par la Croix Rouge et les Comités français d'aide à l'Espagne républicaine. Finalement, ma famille avec une dizaine de compatriotes a été dirigée vers le petit village de Plancher-Bas, près de Lure, où les enfants du groupe ont été recueillis par des familles ouvrières. Je fus adopté par les Grisez (dits Pily) et mes cousins, par les Lombard, les Cardot et les Eloi. Nous avons passé sept mois dans ce village, nouant avec ces familles des Vosges des liens qui ont résisté à l'usure du temps et perdurent encore 60 ans plus tard.

ENFANTS_AU_CAMP_DE_MIELLINSans nous faire oublier notre chère Espagne - chose impossible - ces mois au Plancher nous ont apporté un apaisement moral et physique qui n'avait pas de prix après les épreuves de l'exode.

 

A nouveau dans un "centre" d'accueil…

Aussi, est-ce un vrai désarroi qui nous assaille, quand à la mi-septembre 1939, nous sommes sommés de quitter ces foyers si accueillants, pour rejoindre le centre d'accueil de Miellin, dans une enclave de la forêt, au pied du ballon de Servance (1216 m, point culminant du massif vosgien). Le site du centre n'incitait guère au rêve. Séparé du monde extérieur par des montagnes boisées de sapins aussi droits et fiers que des "hidalgos", il n'offrait au regard aucune habitation, si ce n'est la pointe du clocher du village de Miellin qui émergeait au lointain. Dans ce décor forestier, se dressait une hideuse usine désaffectée qui tenait lieu de refuge, à nos familles : les Moya-Canals, les Moya-Tarros et les Puig-Lléonard, en tout trois familles, cinq FAMILLE_MOYA_2enfants et trois adolescents.

 

De misérables conditions…

Un millier d'Espagnols républicains adultes étaient déjà rassemblés dans ce centre "d'accueil" de Miellin. Leur accueil fut chaleureux. Mais très vite, un sentiment d'angoisse m'envahit, face à cette nature qui nous isolait du monde, nous enveloppait comme si elle était destinée à cacher notre existence.

La présence de quelques vieilles femmes tout de noir vêtues autour de quelques foyers allumés à même le sol et sur lesquels de "l'herbe" bouillait dans les marmites accroissait encore notre inquiétude. Elles me paraissaient incarner l'image d'une malédiction biblique ! Je crus les entendre scander, un mystérieux "Ora pro Nobis".

Le spectacle désolant de l'intérieur du centre n'était pas fait pour faire disparaître l'étrange sensation d'angoisse qui m'avait saisie à l'arrivée, à Miellin : des tables très rudimentaires tenaient lieu de réfectoire : les dortoirs n'étaient guère plus accueillants, une mince couche de paille servait de matelas tandis que des châlits accolés regroupent par chambrée 25 personnes, surélevés de 30 cm, ils faisaient office de rangement pour nos effets personnels.

Nous dormirons là, côte à côte, disposant de 35 cm par personne. Mon frère José, qui a 16 ans - ma mère l'avait rajeuni au passage frontière - rejoignit les dortoirs des hommes.

 

L'absence d'hygiène…

Pas d'eau. Pas de toilette. Pas d'infirmerie. Pas de journal, ni de livre, encore moins de radio. Une seule ampoule par chambrée, flottant au gré du vent qui profitaient des vasistas dont l'étanchéité laissait beaucoup à désirer, une ampoule qui avait bien du mal à combattre les ténèbres.

Cette première nuit à Miellin me parût interminable. L'espace, qui m'était imparti rendait impossible toute rotation sous peine de perturber le sommeil des voisins. Je croyais revivre l'une de nos nuits d'exode où, au gré de notre pérégrination, nous dormions souvent à même le sol.

Vers huit heures, l'appel du matin retendit. Chaque famille fut appelée du nom du village où elle avait été accueillie : Lure, Conflans, Amblans, Sainte-Honorine… Au guichet de la cuisine, nous recevions un bol de café et la ration de pain pour toute la journée. Ignorant ce fait, ce premier matin, je mangeais tout mon pain quotidien.

Les menus du matin et du soir étaient invariables, même le jour du Seigneur ! : lentilles ou pois secs ou pommes de terre (je fus souvent de corvée d'épluchage) agrémentés de petits morceaux de viande dont, même le diable ne devinerait de quel animal elle provenait. Si les premiers jours, la vue des charançons qui surnageaient dans l'assiette m'empêchait d'avaler une bouchée, rapidement, je mangerai tout d'un seul trait et me précipitera aux cuisines faire la queue pour avoir du "reganche", ce supplément qui hélas n'était distribué qu'occasionnellement.

En novembre ou décembre, au lieu d'émissaires de la Croix-Rouge, ce furent des camions de propagande franquiste qui vinrent pour nous exhorter à regagner l'Espagne se portant garant de notre impunité alors que les lettres envoyées par mes tantes demeurées en Espagne étaient alarmantes (200 000 républicains furent assassinés en Espagne, à cette époque par Franco).

Quelques uns, les plus vieux, quittent le centre "Mourir pour mourir nous préférons mourir chez nous", disent-ils.

 

Les rigueurs de l'hiver…

Avec l'hiver, notre situation ne fit qu'empirer. Bientôt la température descendit à moins 20 degrés, le seul poêle à bois de la chambrée ne suffisait pas à nous réchauffer. L'insuffisance d'hygiène fit les beaux jours à la gale qui recouvrit nos membres de pustules que nous traitions avec de l'eau de Javel. La rivière où nous nous lavions ainsi que notre linge devient un bloc de glace, les latrines également.

Il faisait si froid en ce début d'année 1940, que nous ne pouvions plus nous débarbouiller à la rivière. Ma mère et ma tante, comme la plupart des réfugiés ne quittaient plus leur paillasse. C'est alors que la maladie s'abattit sur nous. Les malades furent hospitalisés à Lure. En l'espace d'une nuit, trois petits enfants décédèrent. C'est le "croup" disait-on. Le lendemain, Ramona, ma petite sœur, regardant le ciel me dit "regarde Aurélia, il y a trois nouvelles étoiles ! C'est la Sainte Vierge qui a dû les accrocher là, pour les trois enfants qui ont quitté le camp !". Après un "Requiem aeternam" murmuré pour le salut des défunts par quelques veilles femmes, la lutte pour la survie continua…

 

Le bonheur de la solidarité

Dans cet univers de désolation, nous souffrions tout spécialement de l'isolement dans lequel nous étions plongés. Certes, en dépit du panneau "contagieux" cloué à l'entrée du centre, nos familles d'accueil du Plancher venaient nous rendre visite, nous apportant de la nourriture et quelques nouvelles du monde.

 

L'organisation de quelques soirées récréatives, avec les chants folkloriques de chez nous, et aussi les chants de guerre repris en chœur par tous, jeunes et moins jeunes, aidait à supporter cette atmosphère pesante et douloureuse.

Le 16 février 1940, alors que le froid toujours plus intense envahissait la vallée désormais parée de neige… nous quittâmes le centre pour rejoindre mon père et mon oncle, sans jamais avoir vu les villages de Miellin et de Servance.

Nous laissions derrière nous, ma tante Maria et nos compagnons d'infortune. Et alors que nous jetions un dernier regard en arrière, nous aperçûmes, à travers un tourbillon de neige, une multitude de concitoyens qui nous saluaient et clamaient : "Salut Camarades !".

 

BORRASSA_2008_12Télécharger le récit d'Aurélia Moya Freire en catalan (La Borrassa - décembre 2008) : Acollidaafrancaarbecamiellin


 

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