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Camp de Miellin (Haute-Saône, près de Belfort)
18 mars 2010

Exil de Ramon Safon Castello et de sa mère Rosa Castello Agudo

Ramon Safon est né en 1929 à Barcelone ; réfugié en janvier 1939 avec ses parents ; passage de la frontière par les Illes (Pyrénées Orientales) avec sa mère et accueillis dans une vieille prison désaffectée en guise de refuge par la ville de Gray (Haute-Saône) jusqu’en septembre 1939 ; puis camp de concentration à Miellin, dans une vallée jusqu’en avril 1940.

 

Je me souviens que des camions, accompagnés de gendarmes, vinrent nous descendre du Boulou à Perpignan. A partir de Perpignan, de vieux trains, chargés de femmes et d’enfants, tirés par des locomotives poussives, s’infiltrèrent entre le trafic ferroviaire régulier, avec des arrêts  sur des voies de transit ou de garage, gardées par des cheminots qui nous saluaient parfois le poing levé.

 

Un jour et une nuit, entassés sur les banquettes avec nos maigres baluchons et la fringale au creux de l’estomac ; deux jours et une nuit, les mères sur le qui vive, découvrant des noms de gares, quêtant par les fenêtres un message de l’on ne savait quelle reconnaissance des lieux, interpellant quiconque longeait les quais ; parfois, un ouvrier qui travaillait sur le ballast nous criait, baragouinant l’espagnol, de ne pas nous tourmenter, que l’on ne nous retournait pas en Espagne, comme nous le craignions, pour nous remettre entre les griffes franquistes ; que le train se dirigeait bel et bien vers l’est ou le nord de la France.

 

 « Au début, pour notre part, la bonne ville de Gray, en Haute Saône, (rue Maurice Signard) se chargea, avec la meilleure volonté, d’héberger dans une vieille prison désaffectée qui jouxtait le Palais de Justice, aux cachots garnis de paillasses fraîchement confectionnées, une centaine de femmes et d’enfants réfugiés dont nous faisions partie, avec des amis que la déroute n’avait pas pu séparer. Quoique rassemblés dans cette lugubre bâtisse, nous n’en demeurions pas moins libres de nos actes et de l’organisation propre de notre situation d’exilés.


Contacts et relations avec des Graylois

 

GRAY_1939

 

 

 

 

 

 

 




Deux photos du Groupe d'enfants réfugiés à Gray qui ont été par la suite tranférés au Camp de Concentration de Miellin

ENFANTS_REFUGIES_A_GRAY___TRANSFERES_A_MIELLIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ramon Safon et sa mère à Gray (1939/09/01)


Ramon_Safon_et_sa_maman___Gray


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le manque de nourriture

« Sitôt la guerre déclarée, l’armée française prit en main le regroupement de tous les réfugiés, ratissant les villes et les villages, dans les quels ils avaient été accueillis, pour les coller dans des camps de concentration existants ou nouveaux. Ainsi, nous fît-elle connaître une verte et ruisselante vallée entre barbelés cernant une vaste et vieille usine bâtie sur la commune de Miellin par Servance »

« Ce ne fut pourtant pas tant le manque de liberté qui nous tracassa, nous, les mômes, mais plutôt la carence de la bouffe. Durant trois ans déjà, en Espagne, une faim endémique nous avait tenaillés dans une pénurie qui devint dramatique. Et voilà que, aussitôt avalée la popote de Gray, laquelle commençait à produire sur nous ses effets nutritifs, nous allions de nouveau faire maigre, sous un climat rigoureux. »

« Je vois encore ma mère, à mes côtés, attablée au bout de la travée qui servait de réfectoire, ma mère qui attend, les mains dans son giron, qui attend que je finisse d’ingurgiter ma tambouille de patates et de navets, aromatisée aux feuilles de laurier ou de fayots charançonnés, afin de me donner sa ration. Elle s’installe toujours là, longtemps à l’avance, près du guichet des cuisines, pour que je puisse me précipiter, après avoir tout englouti, à la queue des braillards qui espèrent obtenir du rabiot.

« Je salive encore, au souvenir, du mordant oignon dérobé, un jour d’heureux hasard, par la porte entrebâillée de la cuisine. Un vrai festin croqué à pleines dents, en cachette, derrière un mur, face aux barbelés qui me séparaient des prés et des forêts. »

 

Le dur hiver 39 pour les enfants des soleils ibériques

"Fini donc l'école durant tout un hiver, et pour moi, jusqu'en mars 1940."

"Aussi, pour nous, les enfants des soleils ibériques, le dur hiver 39 français nous sera rude, vigoureux et exaltant, - un froid et une neige si verglacés que nous devions soutenir nos mères et grand-mères sur les marches glissantes des tinettes qui étaient montées loin du bâtiment,- cependant, même entourés de barbelés, même en riche et constante fringale, et toujours démangés par les poux et la gale, nous, les gosses, les mômes, la marmaille, "la mainada", les criatures", n'en étions pas moins à nos affaires ludiques, avec un esprit d'enfreindre les barbelés  en cisaillant des passages secrets pour se joindre à des enfants venus du haut de la montagne, curieux de notre présence dans leur paysage."

"L'un de ces passages allait nous apporter à Yibert, mon frère d'infortune depuis la guerre, et moi une journée de liberté volée, en pleine montagne.

Certes, on nous avait éloignés de toute civilisation. L’armée nous avait conduit, sans le moindre égard, au fond d’un vallon, où nous fûmes entassés dans les travées construites sur estrades pour pageots, d’une vaste fabrique désaffectée, cernée de barbelés, que l’on nomma par euphémisme « camp de regroupement » où nous crevâmes de froid durant le dur hiver de l’année 1939 ,– un seul poêle au milieu de chaque travée de cinquante personnes auprès duquel les mains gourdes de nos grands-mères ne parvenaient même pas à se réchauffer –; un froid à couper au couteau lorsque nous osions, nous les gosses, jouer à l'extérieur; un froid qui obligea les autorités, à m'hospitaliser à Lure pendant une semaine parce que la blessure de mon coude mal cicatrisée n'arrêtait pas de créer des excroissances; un froid qui me valut au retour de la part de mes copains un "t'as eu du pot, vieux, il a fait ici un froid infernal", un froid et un lieu où nous pâtîmes de faim endémique ; où nous souffrîmes de vermine et de maladies – tête à poux, gale aux doigts, grippes et bronchites indécrottables, quarantaines pour enrayer les cas d'épidémies, – nous privant bien entendu de toute liberté.

 

Collés face au mur…

Un jour, Yibert et moi, forts d’une décision prise pour fêter ma sortie définitive du camp, (« la réclamation » qu’avait pu obtenir, après des mois et des mois de démarches, Atilano, le cousin germain de ma mère, afin de nous en extraire) allâmes  pointer le bout de notre nez,à l’extérieur, un jour de printemps ensoleillé, nous faufilant par une des brèches que les plus hardis d’entre nous avaient opérées et dissimulées en maints endroits des barbelés,découvrant du haut des vallons les toits des villages. Cela nous décrassa à tel point de notre condition d’internés que nous optâmes pour rentrer au «  bercail », de franchir comme si de rien n’était, le grand portail grillagé, ouvert, où se tenaient nonchalants, les aides de camp dont l’un s’empressa de nous pousser vers le bureau du commandant,lequel, cravache en main, descendait raide les marches branlantes de son baraquement, nous intimant, d’un bras ferme et comminatoire, d’aller nous coller face au mur de la fabrique.

Vision  qu’aucune mère ne pouvait soutenir et qui souleva très vite un tel tollé de leur part, bouillant d’invectives et d’injures, par chance, vociférées en espagnol et en catalan.

 

Dans ma mémoire, je vois venir à nous le directeur du camp avec une baguette à la main, les mollets couverts de guêtres, peut-être  un effet du symbole de l'autorité, mais, lui aussi commit un autre symbole en nous plaçant face au mur du bâtiment en pleine esplanade et en nous obligeant de rester là jusqu'à son bon plaisir.

 Punir un élève au sein d'une classe face au mur n'avait rien d'exceptionnel à l'époque parce que cela se passait à même l'intérieur de l'école, ici, devant des mères et des enfants qui avaient vécu une guerre civile, et qui savaient donc à quoi s'en tenir lorsqu'on plaçait quelqu'un contre un mur, l'effet symbolique fut monstrueux, d'autant qu'on ne punit pas impunément un enfant de mère espagnole qui a osé enfreindre une loi inique...

Pauvre chef de camp, pauvre autorité à valoir sur des femmes, des mères en détresse physique et morale - ne sachant quel lendemain les attendait et ignorant souvent le sort de leur maris - , il avait beau avec son sempiternel traducteur - un espagnol vendu - les réunir chaque matin pour leur recommander d'aller rejoindre leur pays, "Vous allez en baver, je vous assure que vous regretterez de ne pas retourner dans votre pays, même franquiste, interprétaient nos mères." Et en effet, il n'y avait pas de jour sans qu'il ne fasse personnellement des fouilles dans le fourbi des femmes qui l'exaspéraient, spécialement sur celui de Eulalia, la mère de Yibert, qui était la porte parole révoltée du camp, contre laquelle il manigança une affaire d'arme cachée pour faire interner mère et le fils dans un camp disciplinaire du sud de la France, camp qui s'avéra, selon leurs lettres, moins sévère que la nôtre.

Ainsi, des femmes apeurées, rentrèrent en Espagne, assurant à leurs compagnes de misère qu'elles les tiendraient au courant dès leur arrivée : nombreuses restèrent muettes et celles qui parvinrent à envoyer les cartes règlementaires émises par l'état franquiste, donnèrent parfois des nouvelles des compagnes muettes, indiquant avec joie que ces dernières avaient enfin rejoint leur frères, ou mari, ou père... ce qui se traduisait, sachant que ces frères ou maris ou pères purgeaient des peines de trente ans dans les geôles franquistes,....qu'elles aussi étaient en prison.

 

Suite de l'exil…

 « Concernant l'avenir de celles qui restaient au camp parce qu'elles risquaient la mort inconditionnelle dans leur pays, seule la « réclamation » de la part d’un proche parent prouvant, à l’appui de ses bulletins de paye, qu’il pouvait subvenir aux besoins de sa famille pouvait écourter leur séjour d'internement. Pour notre part, donc, Atilano, tiré du camp d'Argelès par un entrepreneur qui l'employa comme manœuvre au terrain d’aviation de Châteauroux, s’empressa de nous extraire du camp, car lorsque nous eûmes la joie de retrouver, grâce aux recherches de la Croix Rouge, les traces de mon père, après de longs mois sans nouvelles les uns des autres, il s’avéra qu’il avait les mains et les pieds liés, pour nous sortir de là, en raison de son incorporation forcée et de sa solde de misère à la Compagnie de Travail pour Étrangers.

 

Ramon Safon, son CV

Toulouse ; études de comptabilité et du Professorat de Français pour Etranger à l’Institut Français de l’Université de Toulouse

Retour en Espagne, à Barcelone en 19 49 ; participation à la première manifestation populaire en dictature franquiste la grève des usagers des transports urbains en 1950

Retour en France avec un «  vrai-faux » passeport acheté au « marché noir »; « montée » à Paris; employé durant 30 ans , comme secrétaire contractuel à l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine

Après 68, Licence d’Espagnol et Maîtrise à l’Université de Vincennes. Maîtrise publiée en Espagne : La Educacion en la Espana Revolucionaria, par les Ediciones de La Piqueta, Madrid

Naturalisé en 1970

A la retraite retour à la case départ, la région toulousaine, le Gers et la région de Perpignan.

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