Murs Tronqués
Ramon Safon, interné à 10 ans, Président d'Honneur de l'Amicale Camp de Miellin, dédie son poème "Murs Tronqués" à tous les Adhérents, familles, amis ou sympathisants de l'Amicale.
Merci Ramon
MURS TRONQUÉS
A murs naissants adobés chaulés ou crus
l'habit fait le cœur
yeux d'aurore pupilles tamisées
happant les lueurs des brumes boréales
des tapisseries
le berceau est un nid de drap bleu ciel
calfeutré au parfum faste
des murmures d'espoir
un chant s'y coule
car le fond du temps est au beau fixe
et le monde s’extasie des babillages de la vie
°°°°°°°
A murs d'enfance
les quatre points cardinaux
ouverts à tous les ébats
comme une grenade écrasée
jeux pleins de traverses le long
des couloirs noirs et au creux des cages closes
du vestibule et de l'escalier
exploits du corps à l'assaut de l'esprit
ainsi du cercueil des armoires
lourdes de senteurs immémoriales
ainsi des chaises et des tables
grottes et ponts engorgés de torrents
d'émois cachés ainsi du tumulte
des lits défaits montagnes à brasser
comme l'air sous l'aile des éperviers
et dans l'étuve des chambres
persiennes et volets tirés les luttes finales tombées à
l'angle des lassitudes et du sommeil afin de concourir
au sein de soi à la fonte des nues
°°°°°°
A murs d'écolier
culottes courtes à mi-genou
et cartable en bandoulière
les pans et les échancrures des rêves
sur l'impénétrable tableau noir
et les vitres ternes de l'évasion
la peau du savoir étalée à même l'ennui
mais sous le coude
la case de la camaraderie
au pupitre
de la vie
et au bout des cœurs
la saveur de l'encre sèche
au terme des bancs
sans jamais conquise la route des encans
°°°°°°°
A murs d'adolescent le beau rouge sang
l'univers rempli d'extases
les coups de poings aux larves noueuses de l'âme
les entorses faites aux parois factices
enclaves de convenances morales
sautoirs de hautes mœurs
ainsi des premières amours
prémices en rose coulisses en bleu corps à corps entre chair d'ange et rapières de feu
globe galbe lobe lanières de désirs
toujours entreprises jamais assouvies
hors lieux intemporels
malheureusement
parmi l'avalanche des murs
pris en pleine poitrine
le monde
avec son marasme discordant
de coupe et de taille de haillons et de néons
la jungle des fiefs et sa monstruosité de rangs
creusets de plaies
la croyance conçue comme seule ornière
race pure sang supérieur
l'autrui l'étranger tenu en basse classe
ou comme individu indu
dès lors à murs de haine murs de guerre
les murailles du mépris entre quatre yeux
de Guernika à Hiroshima
calcinés les murs d'aurore les murs de jeux
les murs d'amour les murs d'été
cités capitales villes villages hameaux bombardés détruits
déchiquetés explosés rasés rayés atomisés alcôves
chambres foyers lucarnes pignons chéneaux éclatés écrasés éventrés
tas de ruines abats de chair triturée
peuples en poussière de sel
ombres plaquées sur les tapisseries suspendues
à nos blanches parois où plus aucun souvenir
ne s'inscrit où tout vide se poursuit où plus rien ne vit
parmi les orbites creuses des cadavres
qui nous fixent comme des frères
Ramon Safon
Sant Feliu d'Avall
21 mai 2012