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Camp de Miellin (Haute-Saône, près de Belfort)
16 août 2013

Texte écrit par son fils Pedro-Delio à la cérémonie des obsèques de CARMEN ARRUGA PELLEJERO.

2012 08 - CARMEN ARRUGA PELLEJERO lParler de Carmen, sans l’associer au cruel destin des réfugiés républicains espagnols en France, serait difficile. Sa vie commença dans ce petit village de Velilla, en Espagne, au bord de la rivière Ebro, par une enfance heureuse et insouciante au milieu d’une famille unie, que tout destinait  à continuer le rythme ancestral de ces petits villages en Aragon.

A 9 ans, cependant très vite, tout bascula dans l’horreur. La terrible guerre d’Espagne allait martyriser ce petit village situé sur la ligne de front qui divisa l’Espagne pendant  3 années. Les franquistes soutenus par les nazis étaient aux portes du village, que protégeait la rivière, déjà rougie par le sang des martyrs républicains qui défendaient la région, dont plusieurs frères de Carmen. Elle dut fuir avec ses jeunes frères et sœurs vers des endroits plus cléments : la région de Barcelone. Terrible présage d’une destinée fatale. Elle ne reverra son village et sa famille restée là-bas qu’en 1977, après la mort du dictateur Franco et 41 années d’exil. Un émouvant voyage sur les traces de son enfance.

L’avancée inexorable des armées fascistes provoqua un effroyable exode vers les frontières françaises. Une cohorte indescriptible de familles désemparées, marchait  dans la neige et le froid sous les bombes nazies. Malgré tout, c’est sur ce chemin de l’exode que toute sa famille se retrouva réunie et passa la frontière ensemble.

Le pire pour eux, qui avaient déjà tout perdu, restait à venir. Les forces françaises séparèrent  ces familles ; on envoya dans des wagons plombés les femmes et les enfants vers des destinations inconnues. Pour elle, elle avait 12 ans, et sa famille, ce sera la prison de GRAY (Haute Saône) et le terrible camp d’internement de MIELLIN, sur le versant des Vosges, où ils survécurent affamés, entassés dans des conditions horribles durant plus d’une année sous la bienveillance de gendarmes français.

Carmen eut l’occasion, il y a deux ans, de revoir ce camp, avec toute sa famille pour l’inauguration d’une stèle du souvenir. Un grand moment d’émotion.

Tous ces malheurs déjà l’avaient détournée à jamais des choses de la religion. A aucun moment, au cours de ce calvaire, on était venu à son secours !

L’arrivée des nazis en France, que les réfugiés espagnols redoutaient pour les avoir combattus dans leur pays, allait comme par miracle, permettre son salut. On ferma dans l’urgence, les camps d’internement et toute sa famille se trouva réunie, en Normandie, où le travail ne manquait pas dans les champs désertés par les paysans appelés à la guerre.

Malheureusement, cet épisode heureux dura peu. En Juin 40, il lui fallu rejoindre l’exode et fuir encore et encore, devant l’avancée des allemands qui  les rattrapèrent en Touraine. Ils se cachèrent terrorisés, dans les forêts avoisinantes jusqu’à ce que, peu à peu, une certaine sérénité s’installe. L’occupant sembla se désintéresser de notre famille, qui employée dans le bûcheronnage, s’installa finalement dans la forêt d’Amboise jusqu’à la fin de la guerre.

En Espagne, le dictateur Franco ayant réussi à se maintenir au pouvoir, l’espoir d’un retour dans son village avait disparu. Elle allait devoir encore subir la pire des humiliations, la perte de sa patrie et 40 années d’exil.

C’est à Faverolles sur Cher, que commença vraiment son intégration en France, elle épousa Enrique, un soldat républicain rencontré sur les chemins de l’exode,  et cette petite famille allait peu à peu, s’agrandir.
Que de souvenirs de ce village de Faverolles sur Cher ! Tant de solidarité, tant de bienveillance, tant de générosité, de la part des habitants et tant d’amis à jamais gravés dans son cœur.
Carmen se sentait avant tout Faverollaise, c’est là qu’elle s’était reconstruite après toutes ces épreuves, que notre famille s’était épanouie, et qu’enfin l’espoir d’une vie meilleure était revenu.

C’est dans le sens inné, qu’elle avait de la famille, qu’elle trouva cette énergie qui l’animait. L’attendait, une vie de travail et de sacrifices, jalousement consacrée à l’épanouissement de ses enfants, en veillant particulièrement à leur inculquer les valeurs républicaines, si chèrement défendues dans le respect de ses racines et de sa culture espagnole, qu’elle ne reniera jamais. Elle gardera, jusqu’à son dernier souffle, la fierté naturelle des femmes de son pays.

Tant de bonté, de générosité, d’amour consacrés à ses enfants ne suffisaient pas à son cœur beaucoup trop gros ; elle consacrera sa vie à s’occuper d’enfants, qui très vite, allaient faire partie de sa famille (n’est ce pas Fabienne, Elise, Julien, Eric et autres !) et puis bien sûr la naissance de ses petits enfants qu’elle chérissait tant, seront les grands moments de sa vie. Carmen avait l’art de stimuler les rencontres familiales, de créer des échanges, mais de toujours avoir le souci de prendre du recul pour ne pas garder le devant de la scène.

Comment ne pas parler aussi des enfants du voisinage à Montrichard, magnétisés par son contact, qui trouvaient en elle une deuxième « mémère ».

Comment ne pas évoquer aussi tous les moments consacrés à l’écoute de son prochain, à ces petites attentions qui créent ces sentiments de sympathie.

Malheureusement, les accidents de santé répétés allaient peu à peu ronger son énergie. Benjamine d’une fratrie de 9 enfants, elle a dû subir, la disparition de nombre de ses frères et sœur, qui à chaque fois, la fragilisait un peu plus. Elle accepta toujours avec dignité les aléas de la vie.
Et puis, elle assista son époux jusqu’à son dernier souffle dans leur petit nid douillet de Montrichard où se déroula cette retraite bien méritée, faite de plaisirs simples (le jardinage, les fleurs, la télé espagnole et la cuisine) et aussi les repas familiaux autour de plats dont elle avait le secret et qui faisaient accourir ses enfants au moindre coup de téléphone.

Ses enfants, en effet, elle en était fière. Elle répétait souvent une phrase que lui disait ses voisins et amis – « Madame Pellejero, vous avez de la chance d’avoir vos enfants si souvent autour de vous ».
Son départ laisse sa famille désemparée. Cependant la route qu’elle nous a tracée, est longue et large, et son message indélébile.

La famille tient a remercié tous ceux et toutes celles qui l’ont accompagnée au cours de ces derniers mois, ses amis, ses voisins, les infirmières, le personnel de l’ADMR, le docteur MAUPU, le docteur MAZARI et son équipe à l’hôpital de Blois, le personnel de l’hôpital de Montrichard pour sa gentillesse et son dévouement.

La famille vous propose d’écouter, en son honneur « L’Hymne National des Républicains Espagnols ».

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